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L'effondrement de l'industrie nucléaire entraîne le repli du mouvement antinucléaire

L'effondrement de l'industrie nucléaire entraîne le repli du mouvement antinucléaire

6 août 2020 

Réponse à l' "article" (ou plutôt au publi-reportage pronucléaire) du Monde du 17 juillet (à lire ci-dessous)

Par Stéphane Lhomme, Directeur de l'Observatoire du nucléaire

C'est un bien étrange texte qui a été publié le 17 juillet par Le Monde, sous le titre "La lutte contre l'atome ne fait plus recette". La thèse avancée est que le succès des mobilisations pour le climat a rendu inaudible le rejet de l'atome, les auteurs suggérant même que, même si sa situation n'est actuellement pas florissante, l'industrie nucléaire pourrait finalement profiter de ses émissions relativement modérées de co2 pour trouver un nouveau souffle.

Passons sur l'idée méprisante selon laquelle la lutte antinucléaire aurait jusqu'alors "fait recette", alors que c'est un engagement noble et désintéressé de millions de gens de par le monde depuis des décennies.

L'article s'ouvre sur une autre ineptie, laquelle consiste à faire passer Mme Pompili, nouvelle ministre de l'écologie, pour une antinucléaire radicale alors que tout son parcours, similaire à celui de son acolyte François de Rugy, a consisté à sentir tourner le vent : non pas pour faire fonctionner des éoliennes mais pour obtenir de lucratifs strapontins, passant allègrement d'EELV à la cour de M. Valls puis à celle de M. Macron. Totalement pronucléaire, ce dernier sait ne courir aucun risque avec la si "raisonnable" Mme Pompili…

Les auteurs citent ensuite des représentants de diverses associations ou mobilisations effectivement assez peu concernées par le nucléaire… ce qui leur permet d'accréditer à bon compte leur thèse, y compris en citant une "massive" mobilisation d'une… cinquantaine de militants pro-atomes. Et dire que les manifestations antinucléaires ont pendant des décennies été jugées insuffisantes car ne rassemblant "que" des dizaines de milliers de personnes !

La vraie raison de la baisse - réelle - des mobilisations antinucléaires est tout de même abordée dans l'article du Monde, mais évoquée de façon incidente voire conjoncturelle, alors qu'elle est… centrale : c'est tout simplement l'incroyable effondrement de l'industrie atomique, en France et ailleurs sur Terre.

Les deux géants mondiaux du nucléaire, Westinghouse (USA) et Areva (France), ont d'ores et déjà fait faillite, précédant seulement leurs pairs promis au même sort, à commencer par EDF qui est financièrement et industriellement dans une situation totalement désespérée.

Cette Bérézina en cours ne sera qu'à peine freinée par la possible construction en Chine de quelques dizaines de réacteurs : cela peut paraitre impressionnant vu d'ici mais ne constitue là-bas qu'une "niche", totalement submergée par les investissements dans les énergies renouvelables.

Au début des années 2000, des dizaines, voire des centaines de réacteurs étaient annoncés aux USA où, finalement, seule une centrale est en construction, et avec des retards, malfaçons et surcoûts que ne renierait pas Areva et EDF sur leurs chantiers respectifs et catastrophiques des réacteurs EPR de Finlande et de Flamanville (Manche).

Rappelons aussi le scandale inouï des milliers de pièces défectueuses produites par Areva dans les usines du Creusot, et dont des dizaines sont encore installées dans divers réacteurs en France et à l'étranger.

Nous entrons dans une période d'une vingtaine d'années au cours de laquelle les informations concernant le nucléaire seront presque exclusivement des annonces de fermetures de centrales : la plupart de celles encore en service sur Terre approchent de leur fin de vie et sont de toute façon définitivement non rentables, sapées à la fois par le coût exponentiel des rénovations et mises à jour post-Fukushima et, d'autre part, par l'effondrement du coût des renouvelables.

C'est dans un étrange parallèle avec l'industrie qu'il combat depuis des décennies que le mouvement antinucléaire est en effet aujourd'hui lui-même déclinant et vieillissant, mais aussi en partie décontenancé : ce n'est pas qu'il aurait failli ou manqué l'opportunité de "faire recette", il est tout simplement confronté à la sidérante et irréversible déconfiture de son adversaire qui, tel le mur de Berlin avant 1989, semblait impossible à renverser mais s'est effondré comme un château de cartes.

L'engagement antinucléaire, parfaitement compatible et cohérent avec les luttes pour le climat, la biodiversité, la justice sociale, etc., va néanmoins rester indispensable pendant des décennies pour tenter d'éviter les désastres promis par la fin de l'industrie atomique : outre de nouvelles catastrophes telles Tchernobyl et Fukushima, encore plus menaçantes du fait des centaines de réacteurs délabrés encore en service, il reste tant à faire à propos du démantèlement des installations atomiques et de l'impossible "gestion" des déchets radioactifs.

Qu'elles le veuillent ou non, les jeunes générations vont très vite être bien obligées, en sus des mobilisations déjà évoquées, de reprendre le flambeau antinucléaire. C'est bien là la seule victoire des adorateurs de l'atome…


Le Monde, 17 juillet 2020

" Le nucléaire est devenu un péril parmi tant d’autres » : la lutte contre l’atome ne fait plus recette "

La priorité donnée à la bataille contre le réchauffement climatique a fait passer la question du nucléaire au second plan dans les mobilisations citoyennes.

Par Nabil Wakim et Sylvia Zappi Publié le 17 juillet 2020 à 05h44 - Mis à jour le 19 juillet 2020 à 16h

 Il y a encore peu, la nomination de Barbara Pompili à la tête du ministère de la transition écologique semblait impensable. La députée de la Somme n’a en effet jamais caché ses convictions antinucléaires, et elle les répétait dimanche 12 juillet au Parisien : « J’ai des positions, elles sont connues et elles ne changent pas. » C’est pourtant le choix qu’a fait Emmanuel Macron en la nommant numéro deux du gouvernement, provoquant désarroi et colère dans le secteur nucléaire.

L’arrivée de l’ancienne élue Europe Ecologie-Les Verts (EELV) comme ministre de tutelle des grands groupes nucléaires français signerait-elle un changement d’époque dans le pays le plus nucléarisé du monde ? Ou s’agit-il plutôt d’un signal politique sans trop de conséquences, à deux ans de l’élection présidentielle, envoyé à l’électorat écologiste après la « vague verte » aux municipales ?

Paradoxalement, cette nomination arrive au moment où le débat autour du nucléaire a perdu de son intensité. La prise de conscience de l’urgence climatique a déplacé le curseur : dans les mobilisations, le sujet du nucléaire, pourtant identitaire chez les écologistes, était absent. « C’est vrai que, dans les marches pour le climat, la lutte contre l’atome n’a pas été identifiée comme centrale. Le choix a été de se concentrer sur des messages simples pour que tout le monde puisse s’en emparer », relève Elodie Nace, porte-parole d’Alternatiba, l’une des ONG organisatrices de mouvements citoyens qui a rassemblé des dizaines de milliers de personnes en 2018. Sous l’impulsion de figures comme Greta Thunberg, le mouvement international a ciblé les énergies fossiles, comme le charbon, le pétrole et le gaz, responsables du dérèglement climatique.

Le nucléaire émet, lui, très peu de gaz à effet de serre et ne contribue pas au changement climatique, même s’il a d’autres impacts sur l’environnement. « Un péril parmi d’autres » Le mouvement antinucléaire, en parallèle, s’est aussi beaucoup affaibli. A l’exception des mobilisations autour du centre d’enfouissement des déchets nucléaires de Bure, il a du mal à se faire entendre. Vieillissant, ses organisations historiques ayant traversé une crise interne importante, il n’a pas su atteindre les jeunes générations.

« En ayant des modes d’action routiniers et en jouant les experts, le mouvement s’est coupé d’autres publics, les jeunes, les milieux populaires ou ruraux », constatait ainsi le journaliste Gaspard D’Allens, dans Reporterre en 2017. « La transmission ne s’est pas faite avec la génération climat. Le nucléaire est devenu un péril parmi tant d’autres dans la survie de l’humanité, peut-être moins palpable même que d’autres », reconnaît David Cormand, député européen EELV.

Ce reflux est aussi le fait de la filière nucléaire elle-même, qui fait face à d’importantes difficultés : les dérives du chantier de l’EPR de Flamanville, les batailles entre EDF et Areva, les affaires de fraudes ou la dette abyssale d’EDF. Une tendance qui se reflète au niveau mondial : depuis l’accident de Fukushima, au Japon, en mars 2011, l’atome a perdu de son attrait dans la plupart des pays occidentaux, et les nouveaux projets se sont faits rares.

L’Allemagne et la Belgique ont décidé d’en sortir, les Etats-Unis ne construisent plus de réacteurs. En Europe, seul le Royaume-Uni continue d’y croire – au niveau global, le nucléaire ne représente que 10 % de la production d’électricité. « La filière s’est tirée elle-même une balle dans le pied » En France, la filière s’alarme de la persistance du discours antinucléaire et accuse les écologistes d’être les principaux responsables de la décision de la fermeture de la centrale de Fessenheim – une promesse de François Hollande, finalement appliquée par Emmanuel Macron.

La loi de 2015 relative à la transition énergétique prévoyait que la France aurait réduit la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % en 2025 (contre 75 % actuellement). Un texte voté en application de l’accord entre le PS et les écologistes, signé en 2011. A son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron décide de décaler cet objectif à 2035, mais prévoit tout de même de fermer douze réacteurs nucléaires dans les quinze prochaines années.

Il cesse par ailleurs de financer la recherche sur la 4e génération. La baisse des coûts des énergies renouvelables a aussi poussé de nombreux dirigeants à se détourner du nucléaire. « La plupart des membres de la majorité ne sont pas antinucléaires, estime un député La République en marche (LRM) qui connaît bien le secteur. Mais ils préfèrent miser sur les renouvelables, c’est plus porteur dans l’opinion. »

Les discours sur la nécessaire réduction de la consommation d’énergie, autrefois très minoritaires, sont devenus la norme dans les scénarios de transition. « Le rapport 100 % énergies renouvelables de l’Ademe [Agence de la transition écologique] et celui du Sénat sur le coût du grand carénage [travaux de modernisation du parc nucléaire] ont fait évoluer le débat. Avec l’explosion des coûts, la filière s’est tirée elle-même une balle dans le pied », remarque Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam. Dernière sortie en date : le rapport de la Cour des comptes sur la filière EPR. Publié début juillet, il étrille « la dérive des coûts » et émet des doutes sur la sincérité des estimations présentées pour les futurs réacteurs.

A gauche, les mentalités politiques ont aussi évolué avec une nouvelle génération d’élus et une prise en compte des impératifs écologiques. Lors de la présidentielle de 2017, ce camp était ainsi représenté par deux candidats (Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon) qui avaient inscrit la sortie progressive du nucléaire dans leur programme. « Aujourd’hui, aucun candidat à gauche ne pourra endosser un positionnement pronucléaire. La question de l’atome n’est plus un point d’achoppement et ne se pose plus en barrière pour nouer des alliances », souligne Maxime Combes, porte-parole d’Attac. Un sentiment partagé par Nicolas Haeringer, chargé de campagne de l’ONG 350.org : « Dans cette partie de l’échiquier, il est en grande partie acquis qu’il faut faire moins de nucléaire et le remplacer. » « Les politiques ont peur des écolos »

Les groupes du nucléaire savent qu’ils ont devant eux des années difficiles, mais se montrent confiants sur le long terme. « Le fait que le nucléaire ne soit plus au cœur du débat joue en notre faveur », veut croire un patron du secteur, pour qui, « sur le climat comme sur l’emploi, on est particulièrement bien placé ». Dans la filière, où la détestation d’EELV et de Greenpeace est très ancrée, « certains se disent que passer un peu sous les radars des écolos n’est pas une mauvaise chose : le seul obstacle qui se pose à nous, c’est le fait que les politiques ont peur d’eux », analyse un autre représentant du secteur. Certains espèrent ainsi voir émerger une tendance d’écologistes pronucléaire, incarnée par le consultant Jean-Marc Jancovici, membre du Haut Conseil pour le climat (HCC), engagé de longue date contre le réchauffement climatique. « Il y a eu ces campagnes de communication d’EDF expliquant que le nucléaire n’émet pas de CO2. Beaucoup de jeunes ne sont pas insensibles à ce discours », reconnaît Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. Fin juin, une cinquantaine de militants des Voix du nucléaire ont fait irruption devant les locaux de l’ONG, dénonçant la fermeture de Fessenheim comme un « crime climatique ». Du jamais-vu dans l’histoire de Greenpeace ! La bataille de l’atome n’est pas encore terminée.


Date de création : 08/08/2020 17:23
Catégorie : Stéphane Lhomme - Nucléaire
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